Parking Day
2025-09-19
Les cyclistes ont pignon sur rue, littéralement. On installe, sous prétexte de visibilité et sécurité routière, des arceaux pour les vélos à proximité des passages piétons. Sur des places de stationnement. Pour des voitures. Dont la mienne. Autrement plus esthétique que ces bouts de ferraille accessibles au premier venu et refoulant cette vile odeur de plèbe (Si si, c’est les bonhommes virils dans les pubs qui le disent). Moi. Moi je suis Quelqu’un. Avec un grand Q, et une éno~orme… automobile ! Je ne suis pas un pauvre, la preuve, j’ai assez d’argent pour me payer une voiture, son carburant (bon okay, j’avais peut-être pas prévu que le pétrole allait venir à manquer, mais si les dinosaures pouvaient fermenter plus vite aussi), et tout l’entretien qui va avec ! Et, grand seigneur que je suis, je veux vous en fait profiter quand je ne l’utilise pas soit 95% du temps ! Mais que visuellement hein, faut pas déconner, on touche pas à la voiture. Comme disait mon père : « Y a deux choses qu’un homme ne prête pas. Sa femme, et sa voiture ».
Parce que c’est aussi ça la grande famille des automobilistes, des êtres sensibles, bienveillants, qui respectent un Code (pas celui de la route, celui-là c’est un truc de baltringue). Ce n’est pas un hasard si nous autres, ostracisés du périurbains dans nos pauvres pavillons de banlieue, utilisons nos garages comme stockages de breloques. Nous sommes des êtres également modestes ; C’est pour mieux valoriser nos quartiers ! Quelle meilleure pub que de voir ces rangées de voitures stationnées le long de nos rues ? Si belles, élégantes, étincelantes, et prêtes à rugir d’une simple pression sur la pédale. Et tant pis si quelqu’un (sûrement un de ces bobos cuisinant au wok) a décidé de faire des trottoirs pour les pauvres, c’est mal connaître mon char d’assaut avec châssis rehaussé. J’en viens donc à mon idée : des voitures. Partout. Tout le temps. Un showroom éternel.
J’ai pu voir à Besançon quelques militants déjà : devant les logements, les commerces, sur les trottoirs, les pistes cyclables (de toute manière j’ai jamais vu un seul cycliste pendant que moi ou un collègue étions dessus, à croire qu’ils s’y sentent pas en sécurité)… Il suffit d’ouvrir l’œil pour vous laisser émerveiller par ces détails du quotidien. Ne faites pas l’erreur de le prendre pour acquis, on se bat dur pour continuer d’étaler nos voitures sur vos chemins ! On fait même l’objet d’étude de quelques spécialistes[1]. Un espace vide, morne, et sans valeur. Ma bagnole (une Clio V ou une 208, modèles les plus vendus en France en 2024) lui fait prendre instantanément 25 000 € ! Pour 10 m²[2], ça fait quand même un coût de 2 500 €/m², soit 500 € de plus que le prix médian du terrain à Besançon[3] !
Franchement, c’est bien la peine d’essayer de nous faire passer pour des méchants avec des chiffres même pas réalistes[4], jamais un SUV ne rentrerait dans une place aussi petite. Je le dis, pour faire prendre de la valeur à du terrain, y a rien de mieux que des voitures ! Le logement c’est has been, surtout pour ces étudiants qui travaillent pas. Vous voulez un secret ? Rasez les bâtiments et faites du stationnement, ça rapporte beaucoup plus et pour moins d’entretien. Besançon[5] a senti le filon les places réglementées coûtent de 7 à 50 € par jour. Jusqu’à 1550 € par mois pour 10 m² , sans tout le foin de l’état des lieux ? Une aubaine ! Surtout comparé à leur stationnement vélo de communiste. Rendez-vous compte, 10 vélos tout rouillés gratuitement stationnés alors que je pourrais y mettre ma berline ! Des communistes je vous dis ! Ça tiendrait qu’à moi je leur collerais une petite taxe bien léchée à ces parasites[6].
Puis disons le, la voiture c’est aussi du commerce ! Outre la liberté étrangère de l’Union Soviétique[7], comment ferait-on marcher la sacro-sainte Économie sans voiture ? Sans parking ? À Besançon, on estime à ⅓ le nombre de clients venant en voiture au centre-ville[8]… Imaginez seulement si on pouvait augmenter à 100%, bénéfice multiplié par trois ! C’est mathématique ma bonne dame !
D’ailleurs, parlons urbanisme. Parce que oui, y a pas besoin d’avoir fait de grandes études pour voir que les pistes cyclables et les trottoirs ça bouffe un espace de dingue. On a carrément pas la place pour faire ça… ou alors c’est qu’on pourrait y faire je sais pas moi, des parkings ? Je le répète, chaque voie, chaque centimètre supplémentaire alloué à la voiture[9], c’est du terrain qui prend de la valeur. « Imaginez l’horreur si d’autres remplaçaient leur voiture garée sur l’espace « public » par un jardin[10] » ! Pis c’est même pas un filon qui risque de s’épuiser. La nature est bien faite, vous mettez un parking, et forcément plusieurs gentils automobilistes viendront faire vivre toutes les rues alentours. C’est comme la CoViD, exponentiel !
Une rapide observation de la commune seule de Besançon l’indique ; le plus grand parking, et ainsi la zone la plus attractive de la ville n’est autre que… celui de l’Intermarché à Châteaufarine ! Avec ses 35 000 m² de surface, elle est loin devant les 1 326 autres parkings recensés mais est talonnée par le parking de la gare TGV (autre moyen de locomotion de pauvres, mais haut du paquet tout de même). Imaginez un instant, ces 35 000 m² occupés entièrement par des voitures… ça ferait 87,5 M€ ! Si ces emplacements étaient réglementés au même tarif qu’en zone Chrono, cela constituerait jusqu’à 5,5 M€ par mois. De quoi définitivement éloigner ces pécores à pied ou à vélo !
Sur l’ensemble de la commune, le parking représenterait 1,5 km² – largement sous-estimé selon moi, et il faudrait également compter toutes les places en sous-sol, sur voirie, sur trottoirs… – soit un maigre 2% de la surface totale de la ville. Qu’attendons nous ?! Il ne faut pas prendre du retard, d’autant qu’on a la chance d’avoir des forêts bitumables ! En poussant l’idée jusqu’au bout avec 65 km² bitumés, on pourrait stocker 650 000 voitures. De l’espace nettement mieux utilisé que les 120 000 habitants actuels qui, de toute manière, ne sont que des junkies ou des étudiants sans un rond qui sont juste jaloux de ma réussite et s’en prennent à ma liberté de circuler en voiture.
Dans son guide 2025[11], Besançon avance le nombre de 6 400 places réglementées sur voirie comme parking, une augmentation applaudie par rapport aux 5 400 de 2024[12] ! Si c’est pas une invitation à venir en voiture je sais pas ce que c’est. D’ailleurs, 600 places seraient réservées aux personnes handicapées… c’est bien. Mais on peut faire mieux encore : pourquoi ne pas faire l’inverse et ne laisser que 600 places aux personnes non-handicapées ?! Un effort collectif est nécessaire pour les accueillir les personnes en situation de handicap, et on sait qu’il est possible de compter sur la municipalité pour cela[13].
En 2018, on comptait[14] 49% des ménages du Grand Besançon équipés d’une voiture, et 31 % d'au moins deux (avec un écart de 7 pts entre Besançon et les secteurs Périurbains. Faire payer les automobilistes ? Pas de ça chez nous, allez vivre en ruralité et imposez aux citadins votre dépendance à la voiture… y a une certaine forme de socialisme là dessous). Mais parler de ménage c’est un truc de bonne femme qui connaît rien à la vie, et en 2022 on comptait[15] 654 voitures pour 1000 adultes. Taux montré comme faible, et commun aux territoires urbains. Faible ! Moi !? Attendez de me voir au volant de mon bolide avant d’oser m’insulter de faible !
Comme le diraient d’autres, marre du « dogmatisme anti-voiture[16] » ! D’ailleurs j’y travaille avec du matériel (dans mon garage évidemment) et suis sur le point de publier le concept de voitures quantiques. Ma thèse étant que les voitures n’ont que deux états acceptables : stationnées ou à 90 km/h (le 130 et le sans limitation étant en dehors de mon champ d’étude). À ce sujet on pourrait passer les rues en ville à 90 km/h, il paraît que le Département le fait et que ça cause aucun souci de sécurité[17]. Ça c’est de l’idée qui dépote ! Le chichi, c’est pour les chochottes !
Texte satirique écrit avec beaucoup d’amertume dans le cadre du ParkingDay[18].
Références
[2] Parcs de stationnement, AFNOR 2021
[3] Demandes de valeurs foncières, DGFiP 2023
[4] Affiche Fondation Abbé Pierre, Archives nationales du monde du travail 2021
[5] Stationnement, Grand Besançon Métropole 2025
[6] Conférence de presse | Première utilisation du projet de loi 31, Québec 2024
[7] Bruno Le Maire : "pas de voiture, pas de liberté", RTL 2019
[8] « No parking, no business » en centre‐ville : un mythe à déconstruire, Chassignet 2024
[9] Pourquoi les logements neufs sont petits et mal fichus, Libération 2020
[10] CitizenGarden, CitizenSpring 2024
[11] Guide du stationnement, Grand Besançon Métropole 2025
[12] Guide du stationnement, Grand Besançon Métropole 2024
[14] Enquête mobilité 2018, Grand Besançon Métropole 2019
[15] Un parc automobile ancien et toujours à dominante diesel, INSEE 2022
[16] Le magazine du Grand Besançon, Grand Besançon Métropole 2025
[18] Park(ing) day, Dédale 2010
Source